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Témoignage de Céline


Céline

"Non. Non ! Oh non…..Pas déjà, non….. Ses yeux sont résolument fermés, presque crispés, parce qu’elle n’a pas encore renoncé à sa nuit, ou sa grasse mat.

Mais la chanson reste dans sa tête, ça revient, et elle sait que c’est l’annonce du réveil définitif, elle sait qu’elle ne se rendormira plus, et elle a envie de pleurer.

Mais dans le brouillard de la fatigue, de la dépression, elle se surprend à croire qu’elle va pouvoir dire sa vie, ses matins si pénibles, cette envie de mourir dès le réveil, parce que la vie ne lui apporte plus rien, parce qu’il n’y a jamais de rendez-vous, parce qu’il n’y a jamais de visites, parce qu’elle n’a pas « des amis », pas de famille, ni connaissances, même pas des voisins, non, elle n’a personne à qui parler, et là elle vient de réaliser qu’elle n’a personne à qui parler de ça, de tout ce qu’elle vient de penser, personne à qui raconter ses matins oui, mais aussi le reste, le désert de sa vie.

Et c’est encore pire, elle voudrait être morte, ou être si vieille qu’elle n’aurait plus qu’à attendre, parce que c’est ce que font les très vieux, ils attendent le jour où « couac », ils sont enfin délivrés du fardeau de leur vie trop vide, trop lourde à porter, et ont enfin le droit de la quitter.

Ses journées sont rythmées d’habitudes, parce qu’il est hors de question de se laisser aller : elle l’a déjà fait, c’est pire. Être mal et en plus négligée, ça ne fait qu’aggraver les choses, si tant est qu’on puisse encore aggraver quelque chose dans sa putain de vie.

Elle fait le tour de ses problèmes physiques, ceux là mêmes qui l’empêchent de vivre « comme avant », son pied mal cassé qui lui fera toujours mal, son dos démoli d’avoir trop longtemps porté son enfant malade, et puis bien sûr son état général, son AVC l’a diminuée, avant elle ne voulait pas le reconnaître, mais maintenant, elle s’en fiche que ça se sache, elle le dit, tout en sachant que personne ne sait ce que ça signifie vraiment, ce qu’elle a perdu, en vivacité d’esprit surtout, mais en général ses vraies capacités : tout est ralenti, son raisonnement, ses réactions, sa mémoire, tout.

Pas son envie de mourir, mais elle ne se suicidera pas, elle a peur de ne pas être en droit de retrouver son enfant si elle choisit de mettre fin à ses jours.

Alors comme chaque jour, elle se lèvera, elle prendra sa douche, elle s’habillera (bon, progrès : avant elle enfilait un pyjama propre et elle attendait le soir. Maintenant elle se coiffe même en vue de sortir un peu, et d’être prête si elle a envie de partir en promenade avec le chien), et toute la journée elle se répètera « une heure à la fois, une journée à la fois », pour se donner du courage, celui d’exister quand même ; et elle se trouvera des tâches à faire pour remplir cette journée comme toutes les autres mais aussi pour avoir le droit de se faire plaisir, de lire, de se prélasser sur le canapé avec un bon bouquin avec l’esprit tranquille « parce qu’elle a bien bossé ».

C’est triste à pleurer, c’est triste à se taire.

Jusqu’au jour où elle n’en peut plus, elle a besoin d’aide, et elle va la chercher sur le net, elle cherche cette asso qu’elle avait à peine eu le temps de découvrir : c’est justement pour rompre l’isolement social.

Et elle trouve. Elle envoie une fiche contact, demandant d’être aidée, accompagnée.

On la contacte rapidement, et ça y est, elle aura rendez-vous chaque semaine avec « Christine », une personne qui viendra rompre la solitude, le silence, l’indifférence et la fatalité de son quotidien.

Une personne avec qui enfin, elle va partager, un peu de tout, qu’importe : elle est là.



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