La crise du Covid-19 rappelle que le lien aux autres est un besoin vital !
Cette dramatique période où de nombreux concitoyens sont touchés par le Covid19 mobilise les professionnels de santé qui sont au front pour sauver des vies. Les applaudissements qui retentissent tous les soirs à 20 h témoignent de notre gratitude envers eux – ainsi que tous ceux qui sont mobilisés pour assurer les fonctions essentielles de notre société : caissier(e)s, éboueurs, manutentionnaires, transporteurs….
C’est aussi une période où toutes les bonnes volontés sont nécessaires. Ainsi le Président de la République affirmait lors de son discours du 12 mars : « Jamais de telles épreuves ne se surmontent en solitaire. C’est au contraire en solidaires, en disant « nous » plutôt qu’en pensant « je » que nous relèverons cet immense défi. »
Quelques jours plus tard, le Gouvernement appelait à la mobilisation générale par le biais de la Réserve Civique autour de 4 missions vitales :
- L’Aide alimentaire pour les démunis,
- La garde d’enfants (pour les personnels soignants ou structures d’aide sociale à l’enfance),
- Solidarité de proximité (courses pour les voisins les plus fragiles),
- Lien avec les personnes fragiles isolées (téléphone, visio, mail).
Naturellement, l’association Astrée – qui avait mis en place un dispositif spécial d’accompagnement téléphonique – s’est portée volontaire, grâce à ses bénévoles, pour le lien avec les personnes fragiles isolées.
Cette mission « de lien » est clairement posée comme une mission vitale. Astrée en est de longue date persuadée. Nous avons fondamentalement besoin des autres. Pour nos ancêtres, être seul représentait une menace imminente pour sa propre survie. Aujourd’hui encore la solitude a des conséquences terribles pour la santé physique et mentale.
Rappelons qu’en France, 7 millions de personnes soit 13 %* de la population est en situation d’isolement relationnel (absence de contacts sociaux). Si être seul ou se sentir seul (expérience subjective) ne se recouvre pas complètement, il est intéressant de rappeler également que 44 %** des Français se sentent régulièrement seuls. Si la quantité de relations est une donnée pour comprendre la solitude, la qualité des relations en est une autre. C’est la raison pour laquelle Astrée met au cœur de son action son expertise en matière d’écoute relationnelle, condition essentielle de la qualité des relations.
Derrière les chiffres ci-dessus, il y a des visages, des histoires de vies. En voici quelques morceaux par le biais de messages laissés sur la boite mail de l'Association :
« Je suis une femme de 44 ans. Il peut se passer des semaines sans que j'ai de contacts humains autre qu'avec les caissières du supermarché. Je ne pense pas que ce soit la faute des autres, mais de la mienne […] J’ai besoin d'aide et j'espère que vous pourrez m'aider. Merci »
« J'élève seule 2 adolescents suite au décès de leur papa. J'ai beaucoup de mal à partager mon mal-être, mes inquiétudes. Dans cette ville très anonyme, j'ai du mal à gérer le quotidien et les aléas de la vie. »
« Je suis divorcée, malade et âgée, je vois très peu mes enfants qui sont loin et j’ai peur de perdre mon chat qui lui aussi est âgé. Je me réfugie souvent dans le sommeil […]. N’hésitez à me laisser un message. »
« Je vous contacte car j'ai besoin d'aide et d'être accompagnée, je suis en détresse. J'ai 33 ans, je suis seule avec mes chats en camion et je n'ai pas de domicile ...»
« Je suis bipolaire et je souffre de la solitude. Je vis au jour le jour, je me bats pour être comme tout le monde en acceptant ma maladie je la gère du mieux que je peux. Merci de m’écouter."
« J'ai lu sur internet que c'était la journée mondiale des solitudes et plusieurs articles évoquaient votre association. Je me permets donc de vous écrire car peut-être pourriez-vous m'aider à me sentir moins seule, moins triste et moins inutile ? Merci. »
Ces témoignages illustrent comment l’urbanisation, l’éloignement géographique, les ruptures personnelles (décès, séparation…), la maladie physique ou psychique, l’âge, la précarité économique peuvent être des générateurs de nos solitudes modernes.
Les appels à l’aide des derniers jours font ressentir le poids supplémentaire du confinement : En voici quelques exemples :
« J'ai 68 ans et je vis seule dans un appartement de moins de 30m2. J’ai peu de contacts avec la famille qui me reste. De nature solitaire j'ai un réseau de contacts limité. Je n'ai plus aucune occasion de parler avec quelqu'un. »
« Je suis complètement isolée sans famille ni aucun contact. Avant le confinement c’était déjà très difficile, là c’est insoutenable. »
« Je suis confinée avec mon fils de 9 ans. J’ai du mal à trouver un rythme et je me sens incomprise par mon entourage. J’aurais besoin de parler pour sortir mes émotions. »
« Le confinement pèse encore un peu plus sur la solitude et le sentiment d'abandon. Je suis seule et sort à peine d'une longue dépression.»
« Je suis dans une période de précarité. Mon travail d'intérim s'est terminé suite au confinement, je suis hébergé chez mon frère et je suis éloigné de ma copine. Je me sens mal intérieurement, je vis très mal ce confinement. J'aimerai que quelqu'un m'apporte son aide déjà par téléphone. »
Il est heureux et courageux de voir des personnes demander de l’aide alors que c’est loin d’être aussi facile. Bravo à elles car souvent le sentiment de honte accompagne la solitude et empêche de dire sa souffrance. Cette honte est d’autant plus présente chez des personnes qui ne sont pas âgées. En effet, être seul quand nous sommes jeunes ou dans la force de l’âge va à l’encontre des représentations sociales.
Si nous ajoutons à ce sentiment de honte, le fait que 66 % des Français*** estiment qu’on est : « jamais assez prudent quand on a affaire aux autres », nous comprenons d’autant plus la difficile ouverture aux autres dans ce climat de méfiance.
Pourtant, la situation actuelle de crise confirme à quel point nous avons besoin de confiance et de fraternité !
Elle est une opportunité pour renforcer nos liens, notre attention, envers les plus seuls mais aussi dans nos environnements personnels ou professionnels.
Nous proposons ici quelques pistes d’action, pour faire vivre la fraternité au-delà des dispositifs de crise actuellement mis en place :
- Favoriser l’engagement citoyen au travers des campagnes nationales de sensibilisation ;
- Mettre en place des dispositifs, toute l’année, pour identifier les personnes seules ;
- Créer une plateforme d’information sur la solitude avec des solutions adaptées aux situations spécifiques ;
- Donner des formations d’Écoute Relationnelle aux volontaires prêts à s’engager auprès des plus isolés ;
- Proposer dès l’école des actions d’entraide pour cultiver la solidarité dès le plus jeune âge ;
- Développer les compétences relationnelles et sociales dans les univers professionnels ;
- Favoriser la coopération des acteurs complémentaires de l’isolement.
Ces pistes n’ont évidemment pas la prétention d’être exhaustives. Prendre en charge un sujet aussi vaste que l’isolement social implique la collaboration des différents acteurs associatifs, publics et privés. Nous aurons besoin du soutien de chacun pour agir et de l’intelligence collective pour contribuer à inventer demain !
Merci !
Djelloul BELBACHIR
Délégué général d'Astrée
* Étude Solitudes 2029 de la Fondation de France 2 Enquête BVA 2018 pour Astrée
** Enquête BVA 2018 pour Astrée
*** Baromètre de la confiance politique - Opinionway pour Sciences Po – Fev 2020